L’attachement constitue un concept central en psychologie du développement et exerce une influence majeure, notamment sur la construction et le maintien des relations amoureuses à l’âge adulte. Élaborée initialement par John Bowlby (1969, 1988) puis approfondie par Mary Ainsworth (1978) à travers le paradigme de la « Situation étrange », la théorie de l’attachement met en évidence l’importance des expériences précoces avec les figures parentales ou substitutives. Ces interactions précoces contribuent à l’élaboration de « modèles internes opérants », c’est-à-dire de représentations durables qui organisent la manière dont l’individu perçoit la disponibilité de l’autre, sollicite ou offre du soutien, régule les conflits et investit l’intimité au cours de ses relations ultérieures.
Les styles d’attachement : définition et caractéristiques
Les styles d’attachement sont généralement catégorisés en quatre grandes catégories :
- SECURE: les individus avec un attachement sécure ont bénéficié d’une réponse cohérente et sensible de leurs figures parentales. Ils développent une estime d’eux-mêmes stable, une confiance en l’autre et une capacité à gérer les conflits relationnels de manière constructive. Ils expriment facilement leurs émotions et sont capables d’intimité sans crainte excessive de l’abandon.
- ANXIEUX (préoccupé): les personnes présentant un attachement anxieux ont souvent vécu des interactions imprévisibles avec leurs figures parentales. Elles peuvent développer une hypervigilance émotionnelle, un besoin excessif de validation et une peur intense de l’abandon. Dans leurs relations amoureuses, elles peuvent manifester une dépendance affective et une crainte excessive du rejet.
- EVITANT (détaché/ dismissif): les individus ayant un attachement évitant ont généralement grandi dans un environnement où l’expression émotionnelle était minimisée ou ignorée. Ils développent une indépendance excessive et une difficulté à exprimer leurs besoins affectifs. En couple, ils peuvent apparaître distants et réticents à l’engagement.
- DESORGANISE (craintif): Ce style d’attachement résulte souvent d’une enfance marquée par des traumatismes ou des interactions parentales paradoxales (source de réconfort et de peur). Il se traduit par des comportements ambivalents dans la relation, alternant entre recherche de proximité et évitement marqué.
Impact des styles d’attachement sur les relations amoureuses.
Régulation émotionnelle, soutien et conflits.
- Les individus sécures gèrent les conflits avec assertivité et écoute empathique: ils activent un cycle de soutien efficace : demande claire → caregiving sensible → apaisement. Base de sécurité réciproque, modèle de régulation dans la dyade.
- Les personnes anxieuses ont tendance à « dramatiser » et à rechercher une réassurance excessive, hypervigilance au rejet, besoin de validation. Poursuite quand l’autre s’éloigne, protestations hyper‑activantes (recherche intense de proximité, ruminations).
-> Importance de nommer les besoins, apprendre la demande directe de réassurance; structurer les rituels de connexion. - Les individus évitants minimisent les conflits et peuvent se retirer émotionnellement: : stratégies désactivantes (minimiser, se couper).
->Tenter de pratiquer les approches graduées (auto‑divulgation, micro‑demandes), travailler la réception du soutien. - Les personnes désorganisées oscillent entre réactions intenses et évitement: Pattern “demand/withdraw” (poursuite – retrait) : cycle interactionnel associé à la détresse conjugale, typiquement quand un partenaire (souvent plus anxieux) demande/critique et l’autre (plus évitant) se retire. Figure à la fois source de réconfort et de crainte, alternance imprévisible entre proximité et retrait.
-> Travail thérapeutique centré sécurité & stabilisation à envisager, construction de scripts de base de sécurité.
Il est toutefois important de préciser qu’il s’agit de styles/d’orientations et non d’étiquettes figées. On peut également être plus ou moins anxieux/évitant, selon la relation (parents, amis, partenaire).
Satisfaction et stabilité relationnelle.
Les études montrent que les couples où les deux partenaires sont sécures ont une meilleure satisfaction conjugale et une stabilité accrue (Hazan & Shaver, 1987). À l’inverse, les combinaisons anxieux-évitant sont souvent sources de souffrance et de malentendus (Simpson & Rholes, 1994).
Attachement et choix du partenaire.
Les individus anxieux sont souvent attirés par des partenaires évitants, ce qui peut créer un cycle relationnel douloureux où l’un recherche de l’intimité tandis que l’autre fuit (Mikulincer & Shaver, 2007). En revanche, un partenaire sécure peut aider un partenaire anxieux ou évitant à développer une sécurité relationnelle accrue.
Evolution du style d’attachement ? (Stabilité vs plasticité)
L’attachement n’est pas figé et peut évoluer sous l’influence de nouvelles expériences relationnelles et/ou d’un travail thérapeutique (Johnson, 2004). Le ”Security priming” (exercices brefs qui activent mentalement la sécurité) peuvent également permettre une amélioration dans la relation : affects plus positifs, et attentes plus sécurisées.
Boîte à outils: passer de l’insécurité à une sécurisation du couple:
Micro‑habiletés:
Soutien “safe haven” au quotidien (hebdomadaire au minimum)
- Clarifier le besoin (« J’ai besoin d’être rassuré·e »),
- Demander explicitement du soutien (concret, observable),
- Répondre avec chaleur/efficacité (caregiving),
- Boucler par un retour de soulagement (co‑régulation) → Modèle Collins & Feeney.
- Désamorcer le cycle “poursuite – retrait”
- Le/la “poursuivant·e” reformule en demande de proximité (sans accusation).
- Le/la retirant·e propose une approche graduée (ex: écouter 10 minutes).
- Rituels de connexion (10–20 min/jour sans écrans) avec partage d’états internes (émotions/besoins, pas seulement faits) : soutient le “secure base script”.
- Script de conversation « demande de soutien » : « Je me sens [émotion], j’aurais besoin de [demande concrète]. Est‑ce qu’on peut [proposition de …] ? -> Réponse attendue : « Oui, je suis là, qu’est‑ce qui te ferait du bien en premier ? »→ Safe haven.
Exercices “sécurité” à faire chez soi (evidence‑informed):
- Journal de sécurité (2–3 fois/sem.) : écrire un souvenir où vous vous êtes sentis vus/soutenus par votre partenaire → les études sur le security priming montrent des effets cumulatifs positifs.
- Photolangage de sécurité: regarder 1–2 photos qui évoquent la base de sécurité (vacances, main dans la main), 60–90 s avant une discussion difficile (effets de priming).
Mesurer son attachement:
ECR‑R (36 items) et ECR‑S (12 items) mesurent les deux dimensions (anxiété/évitement) tandis que l’ECR‑RS évalue ces dimensions, par relation, (mère, père, partenaire, ami).
ECR-R (version originale), ECR-S (passation en ligne), ECR-R (version française)
ECR-RS (version originale) ECR-RS (version française).
* Utiliser les scores comme des indicateurs, des tendances, et non comme des cases rigides. En effet, ces questionnaires captent les tendances actuelles et contextuelles (état/trait), pas une « essence » immuable. D’autre part, les dynamiques d’interaction sont à prendre en compte: nos comportements induisent des réponses chez l’autre (et inversement). Ces cycles interactionnels (ex: demand/withdraw) sont “co‑construits”.
Conclusion
Comprendre son propre style d’attachement et celui de son partenaire est un levier essentiel pour favoriser des relations de couple épanouissantes. Si certains schémas d’attachement insécures peuvent générer des difficultés, ils ne sont pas immuables et un travail personnel ou thérapeutique peut permettre d’accéder à une relation plus sécurisante et harmonieuse.
À RETENIR:
- Des outils concrets (soutien « safe haven », micro‑habiletés de communication, exercices de « security priming ») favorisent une sécurisation du lien.
- L’attachement à l’âge adulte se décrit essentiellement sur deux dimensions continues, anxiété (peur du rejet) et évitement (inconfort à l’intimité) qui sous‑tendent les catégories « sécure / anxieux / évitant / désorganisé ».
- Ces orientations influencent la régulation émotionnelle, la communication et le soutien au sein du couple (recherche de réassurance vs retrait).
- Les attachements insécures (anxiété/évitement) sont négativement associés à la satisfaction et à la stabilité conjugales.
- Certaines combinaisons de partenaires (anxieux – évitant) peuvent cristalliser des cycles « poursuite – retrait » (demand/withdraw).
- Le style n’est pas figé : il présente une stabilité modérée mais peut évoluer avec de nouvelles expériences relationnelles et des interventions (thérapie).
Sources et références bibliographiques:
- Ainsworth, M. D. S., Blehar, M. C., Waters, E., & Wall, S. (1978). Patterns of Attachment: A Psychological Study of the Strange Situation. Erlbaum.
- Bowlby, J. (1969, 1988). Attachment and Loss. Basic Books.
- Hazan, C., & Shaver, P. (1987). Romantic love conceptualized as an attachment process. Journal of Personality and Social Psychology, 52(3), 511-524.
- Mikulincer, M., & Shaver, P. R. (2007). Attachment in Adulthood: Structure, Dynamics, and Change. Guilford Press.
- Simpson, J. A., & Rholes, W. S. (1994). Stress and secure base relationships in adulthood. Advances in Personal Relationships, 5, 181-204.
- Johnson, S. (2004). The Practice of Emotionally Focused Couple Therapy: Creating Connection. Routledge.
- Waters & Waters (2006) ; Waters et al. (2018/2019) – Secure base script : contenu, mesure et liens avec la qualité des relations. ([Taylor & Francis Online]
- Rowe et al. (2020) ; Gillath et al. (2022) – Security priming (revues/méta) : effets positifs, cumulables.
- Li & Chan (2012) ; Candel et al. (2019) – Méta‑analyses : anxiété/évitement – satisfaction. ([Wiley Online Library]
- Christensen & Heavey (revue Cambridge) – Demand/withdraw et détresse conjugale. ([Cambridge Core]
- Simpson (2017) – Revue : insécurité, stress et réactivité en couple
- Brennan, Clark & Shaver (1998) – Modèle anxiété/évitement (ECR). Voir la fiche ECR‑R (Université de l’Illinois). [labs.psychology.illinois.edu]
- Fraley et al. (2011) – ECR‑RS (attachement par relation). ([PubMed]
- Wei et al. (2007) – ECR‑S (forme courte validée). [ResearchGate]