Delphine Leca

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Attachement à l’âge adulte.

Amour, parentalité et vulnérabilités psychiques.

Longtemps centrée sur les premières années de vie, la théorie de l’attachement s’est progressivement imposée comme un modèle explicatif majeur du développement affectif, tout au long de la vie. Elle offre aujourd’hui un éclairage précieux sur les relations à l’adolescence et à l’âge adulte, notamment dans les domaines de l’amour, de la parentalité et de la santé mentale.

L’adolescence : transitions relationnelles et vulnérabilités

À l’adolescence, une redéfinition des figures d’attachement s’opère. Les jeunes commencent à transférer leur attachement vers leurs pairs, amis proches, premiers partenaires amoureux, tout en maintenant leurs parents comme figures de recours en cas de détresse majeure. Cette période de réorganisation relationnelle est souvent étudiée via des questionnaires auto-rapportés sur les styles d’attachement ou des entretiens comme l’AAI (Adult Attachment Interview) centrés sur le lien aux parents.

Les adolescents avec un attachement sécure (aux parents) montrent en moyenne une meilleure estime de soi, une plus faible symptomatologie anxiodépressive et des amitiés plus stables et intimes que leurs pairs insécures. Sur le plan scolaire, une sécurité d’attachement, qu’elle soit parentale ou liée à une figure enseignante soutenante, favorise l’engagement académique et le bien-être global.

L’âge adulte : amour et styles d’attachement

Les travaux fondateurs de Hazan et Shaver ont ouvert la voie à des décennies de recherches sur l’attachement à l’âge adulte. On estime que 50 à 60 % des adultes présentent un style d’attachement sécure, tandis que les 40 à 50 % restants se répartissent entre des profils anxieux, évitants ou mixtes; des proportions variables selon les cultures, les méthodes d’évaluation et les échantillons.

Dans les relations amoureuses:

Les individus à attachement sécure développent généralement des liens plus stables et satisfaisants : communication ouverte, régulation adaptative des conflits, empathie mutuelle.

À l’inverse, un style anxieux-préoccupé se traduit souvent par des relations passionnées mais instables, marquées par la peur de l’abandon, une dépendance affective importante et des comportements de protestation (colère, jalousie, demandes répétées de réassurance).

Le style évitant, quant à lui, tend à privilégier l’autonomie émotionnelle, au détriment de l’intimité ; ces adultes expriment peu leurs besoins affectifs et peinent à répondre à ceux de leur partenaire, ce qui peut freiner la construction de liens profonds.

Les méta-analyses confirment que les styles insécures (anxieux et évitant) sont significativement associés à une moindre satisfaction conjugale et à une augmentation du risque de rupture.

Attachement adulte et santé mentale

L’attachement insécure constitue également un facteur de vulnérabilité dans le domaine de la santé mentale. De nombreuses études ont établi que les adultes anxieux présentent un risque plus accru de troubles anxieux (notamment anxiété de séparation et anxiété généralisée) et de dépression, en lien avec une faible estime de soi et une forte sensibilité à l’abandon. Les profils évitants sont plus susceptibles de manifester une détresse intériorisée, un isolement émotionnel, des conduites de retrait ou des traits hostiles liés à une inhibition affective.

L’attachement désorganisé/non résolu, souvent issu d’expériences traumatiques précoces non élaborées et intrégrées, est quant à lui fortement corrélé à des troubles complexes tels que le trouble de la personnalité borderline, les troubles dissociatifs, ou la dépression chronique sévère. Dans les échantillons cliniques, les profils d’attachement insécure sont surreprésentés, ce qui souligne leur rôle dans la genèse ou l’entretien des psychopathologies.

Cela étant, il est essentiel de rappeler qu’un attachement insécure n’est ni pathologique, ni déterministe! Il n’entraîne pas nécessairement un trouble, tout comme un attachement sécure n’immunise pas contre toute souffrance psychique. Il s’agit d’un facteur de risque, parmi d’autres (génétique, contexte de vie, événements traumatiques, etc.).

La parentalité à la lumière de l’attachement

Un autre domaine d’application majeur concerne la parentalité. La qualité de l’attachement de l’adulte, notamment mesurée par l’AAI, est liée de façon significative à l’attachement de son enfant. Les parents sécures adoptent en général des comportements plus sensibles, chaleureux et flexibles. À l’inverse, les parents anxieux peuvent se montrer hyperprotecteurs ou intrusifs, et les parents évitants, plus distants, parfois rejetants face aux besoins émotionnels de leur enfant.

Ces différences apparaissent notamment dans les réponses parentales face à la détresse : là où un parent sécure offre un réconfort régulé, un parent anxieux peut être débordé émotionnellement, et un parent évitant aura tendance à minimiser ou ignorer les manifestations affectives de l’enfant. La capacité du parent à réguler ses propres affects est un levier central : elle conditionne sa disponibilité émotionnelle, sa sensibilité et sa capacité de contenance face aux besoins de l’enfant.

Les recherches récentes insistent sur le fait que les comportements parentaux inadéquats: retrait, insensibilité, contrôle excessif, sont souvent l’expression de difficultés internes non intégrées, enracinées dans l’histoire d’attachement du parent lui-même. D’où l’importance, en clinique, de travailler non seulement sur les comportements éducatifs, mais aussi sur les représentations mentales du lien (peurs, croyances, attentes vis-à-vis de soi et de l’enfant).

Conclusion : une matrice relationnelle durable

La théorie de l’attachement, enrichie par les apports des neurosciences affectives et de la psychologie du développement, éclaire aujourd’hui une large part du fonctionnement relationnel à l’âge adulte. Les schémas d’attachement, s’ils s’enracinent dans les premières expériences intersubjectives, conservent une influence durable sur les relations amoureuses, la parentalité, le fonctionnement émotionnel et la santé mentale. Cette matrice relationnelle n’est ni figée ni déterministe : les expériences correctrices, les liens réparateurs et le travail psychothérapeutique permettent de réorganiser les modèles internes d’attachement, et d’ouvrir à des relations plus sécures et épanouissantes.

Dans une perspective clinique, la théorie de l’attachement s’affirme donc comme un cadre de lecture riche, intégratif et humanisant pour comprendre, accompagner et soutenir les trajectoires développementales de l’enfant à l’adulte.


Sources / Références :

  1. Berlin, L. J., Zeanah, C. H., & Lieberman, A. F. (2008). Prevention and intervention programs for supporting early attachment security. Infant Mental Health Journal, 29(1), 15–23. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2817791/
  2. Dozier, M., Zeanah, C. H., Wallin, A. R., & Shauffer, C. (2012). Institutional care for young children: Review of literature and policy implications. Social Issues and Policy Review, 6(1), 1–25. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3532541/
  3. Cassidy, J., & Shaver, P. R. (2016). Contributions of attachment theory and research: A framework for future research, translation, and policy. Development and Psychopathology, 28(4pt1), 1375–1394. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4085672/
  4. Sroufe, L. A. (2005). Attachment and development: A prospective, longitudinal study from birth to adulthood. Attachment & Human Development, 7(4), 349–367. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3032393/

Delphine Leca

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