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Attachement et parentalité : l’influence de l’histoire d’attachement des parents sur la posture éducative.

Théorie et transmission intergénérationnelle

La théorie de l’attachement postule que la qualité du lien affectif formé dans la petite enfance façonne le modèle interne de l’individu (MIO), c’est-à-dire ses attentes et perceptions en matière de relations intimes. Les recherches ont montré que les représentations d’attachement des parents (évaluées à l’âge adulte, par exemple via l’Adult Attachment Interview, AAI) prédisaient de manière significative le style d’attachement de leur enfant. 

Autrement dit, il existe une transmission transgénérationnelle de l’attachement : un parent ayant un état d’esprit autonome/sécure a beaucoup plus de chances d’avoir un enfant à l’attachement sécure, tandis qu’un parent évitant/détaché a plus de risque d’avoir un enfant évitant, et un parent ayant un traumatisme non résolu est plus susceptible d’avoir un enfant à l’attachement désorganisé. 

De nombreuses études menées au cours des deux dernières décennies confirment cette correspondance entre les représentations d’attachement du parent et celles de l’enfant. Si l’association demeure modérée, elle est suffisamment robuste pour attester d’une influence transgénérationnelle.

Les données montrent toutefois que la transmission est plus marquée pour les attachements sécures que pour les formes insécures ou désorganisées.

Si la correspondance entre l’attachement du parent et celui de l’enfant est aujourd’hui bien établie, les chercheurs se sont longtemps interrogés sur les mécanismes qui sous-tendent cette transmission.
L’un des premiers facteurs explorés fut la sensibilité parentale, définie comme la capacité du parent à percevoir, comprendre et répondre de manière ajustée aux signaux de son bébé. Cette qualité relationnelle s’est révélée étroitement liée à la sécurité d’attachement de l’enfant, mais elle n’explique qu’une partie de la continuité observée entre générations.

Ce constat a conduit les chercheurs à identifier ce qu’ils appellent le fossé de transmission (transmission gap) : bien qu’une relation claire existe entre l’attachement du parent et celui de l’enfant, les mécanismes explicatifs déjà connus, tels que la sensibilité parentale, n’expliquent pas à eux seuls l’ensemble du phénomène.

De nombreux facteurs complémentaires ont depuis été identifiés :

  • les comportements de soins du parent (disponibilité émotionnelle, réactions aux besoins, cadre éducatif et gestion de la discipline) ;
  • ses représentations psychologiques de l’enfant et de la relation ;
  • le contexte de vie (stress, soutien social, sécurité affective au sein du couple) ;
  • ainsi que certaines caractéristiques propres à l’enfant, telles que le tempérament ou la réactivité émotionnelle.

En somme, si l’histoire d’attachement du parent constitue un socle essentiel pour le développement affectif de l’enfant, cette influence s’exerce à travers une constellation de médiateurs relationnels et émotionnels, qui peuvent renforcer, atténuer ou transformer la transmission intergénérationnelle.

C’est dans cette perspective qu’émergent des notions clés comme la fonction réflexive parentale et la mentalisation, qui permettent de mieux comprendre comment l’histoire intérieure du parent, lorsqu’elle est reconnue, pensée et intégrée, peut se traduire en une posture éducative plus ajustée et sécurisante.

Fonction réflexive et mentalisation: transmission des modèles d’attachement

Un concept central pour comprendre la transmission intergénérationnelle de l’attachement est la fonction réflexive parentale (FRP), également appelée mentalisation parentale.

Introduite par Fonagy, Slade et leurs collaborateurs au début des années 2000, la fonction réflexive désigne la capacité d’une personne à comprendre les comportements (les siens et ceux des autres) en termes d’états mentaux sous-jacents (émotions, pensées, croyances, intentions). Appliquée à la parentalité, elle correspond à la faculté du parent de se représenter à la fois l’expérience interne de son enfant et la sienne.

Un parent doté d’une bonne capacité de mentalisation « garde l’enfant à l’esprit » : il peut imaginer ce que l’enfant ressent ou pense, donner du sens à ses comportements en les reliant à des émotions ou à des besoins, tout en réfléchissant à ses propres réactions.
Par exemple, un parent à haute réflexivité pourra se dire : « Il a fait une crise au magasin parce qu’il était fatigué après une longue journée, j’en ai trop demandé pour son âge », puis ajuster sa réponse avec empathie.
À l’inverse, un parent à faible réflexivité aura plus de mal à relier les comportements de l’enfant à des états internes, et pourra les interpréter comme de la provocation ou de la “mauvaise volonté”, réagissant alors de manière inadaptée ou débordée.

La fonction réflexive est intimement liée à la théorie de l’attachement. Fonagy et ses collègues ont formulé l’hypothèse que c’est la capacité du parent à penser et à donner sens à ses propres expériences d’attachement passées qui lui permet d’éviter de reproduire les schémas insécures hérités de son histoire.
Le London Parent-Child Project a ainsi montré que les parents capables de raconter leur enfance de façon cohérente et réflexive, même marquée par des difficultés, avaient plus souvent des enfants à l’attachement sécurisé.
La fonction réflexive agirait donc comme un pivot intergénérationnel : elle permet au parent de mentaliser son propre passé pour mieux ajuster ses réponses dans le présent, favorisant ainsi la sécurité affective de l’enfant.
Les travaux ultérieurs se sont aussi intéressés à la mentalisation tournée vers l’enfant lui-même, notamment à travers des outils comme le Parent Development Interview (PDI), qui évalue la FRP centrée sur l’enfant.

Sur le plan empirique, de nombreuses études confirment l’importance de la fonction réflexive parentale. Une revue de littérature rassemblant 47 études (Camoirano, 2017) a mis en évidence qu’un niveau élevé de FRP est associé à des soins parentaux plus adaptés et à une probabilité accrue d’attachement sécure chez l’enfant.
À l’inverse, une FRP faible est fréquemment observée chez des parents dont les enfants présentent des troubles émotionnels ou comportementaux (anxiété, difficultés de régulation émotionnelle, comportements externalisés).
De plus, les enfants de parents à haute réflexivité développent eux-mêmes de meilleures compétences de mentalisation, une théorie de l’esprit plus fine, et une compréhension plus nuancée des émotions d’autrui.

Les recherches récentes ont particulièrement exploré le rôle de la FRP chez les parents présentant un profil évitant/dismissif, c’est-à-dire ceux qui minimisent l’importance des émotions et des liens affectifs.
Une étude de Kungl et al. (2024), menée auprès de 115 parents de jeunes enfants, a montré que les parents classés « détachés » selon l’Adult Attachment Interview (AAI) obtiennent en moyenne des scores plus faibles de fonction réflexive parentale et font preuve de moins de sensibilité dans leurs interactions avec l’enfant.
Cette étude suggère que la faiblesse de la FRP médiatise en partie l’effet de l’attachement du parent sur ses comportements éducatifs : autrement dit, le lien entre un état d’esprit évitant et une faible sensibilité parentale s’explique, au moins en partie, par le déficit de réflexivité.

Ainsi, un parent qui évite de penser aux états mentaux, que ce soit les siens ou ceux de l’enfant, aura davantage de difficulté à se montrer sensible et ajusté, ce qui peut favoriser l’émergence d’un style d’attachement insécure chez l’enfant.
Ces résultats confirment le rôle de la fonction réflexive comme chaînon manquant entre l’histoire d’attachement du parent et sa posture éducative, tout en soulignant l’importance de renforcer cette compétence dans une visée préventive.
Aider les parents à développer leur capacité de mentalisation pourrait non seulement améliorer leur sensibilité, mais aussi contribuer à promouvoir un attachement plus sécure chez l’enfant.
Notons enfin que ces dynamiques concernent autant les mères que les pères : les tendances observées apparaissent de façon globalement similaires pour les deux.

La fonction réflexive parentale apparaît ainsi comme un levier clé pour interrompre la transmission des insécurités d’attachement et soutenir un caregiving plus empathique, sensible et réparateur.

Influence de l’attachement des parents sur les pratiques éducatives et le comportement parental

L’histoire d’attachement du parent influence de manière concrète sa façon d’éduquer et d’interagir avec son enfant au quotidien.
Les parents ayant eux-mêmes bénéficié d’un attachement sécure dans leur enfance ou ayant pu élaborer de manière cohérente leurs expériences passées développant ainsi une sécurité acquise, adoptent généralement une posture éducative plus empathique, cohérente et sensible aux besoins de leur enfant.
À l’inverse, les parents présentant un attachement insécure tendent à manifester certains biais ou comportements éducatifs en lien avec leur propre style d’attachement.

  • Le parent évitant/détaché qui minimise souvent l’importance des émotions et des liens se montre en général moins à l’aise face à la détresse de l’enfant. Il peut paraître plus distant, moins chaleureux et plus orienté vers l’autonomie précoce. Ce profil est fréquemment associé à un style parental plus autoritaire, caractérisé par un fort contrôle et une faible expression émotionnelle. En situation de stress de l’enfant, ce parent risque de se retirer ou d’ignorer les signaux d’attachement, reproduisant un schéma relationnel distant qui favorise la construction d’un attachement évitant.
  • Le parent ambivalent/préoccupé, dont le discours reste chargé de préoccupations émotionnelles non résolues, peut quant à lui se montrer inconsistant dans ses réponses éducatives. Il oscille entre sur-implication et difficulté à poser des limites, ou encore entre anxiété excessive et détachement, reflétant une régulation émotionnelle instable. L’enfant reçoit alors des messages imprévisibles quant à la disponibilité du parent, ce qui favorise un attachement ambivalent.
  • Le parent au profil non résolu, souvent marqué par un traumatisme ou un deuil non élaboré, présente un risque particulier de comportements incohérents ou effrayants.
    Main et Hesse (1990) ont décrit comment ces parents, submergés par des souvenirs non intégrés, peuvent manifester des réactions de peur, de figement ou de dissociation face à la détresse de leur enfant (par exemple rester immobiles quand le bébé pleure, ou au contraire réagir avec brusquerie sans en avoir conscience).
    Ces comportements qualifiés de frightened/frightening désorientent profondément l’enfant et empêchent toute stratégie d’attachement organisée, menant à une désorganisation de l’attachement.
    Sur le plan clinique, repérer un parent au profil « non résolu » permet d’anticiper un risque accru d’interactions délétères nécessitant un accompagnement spécifique.

Au-delà des classifications formelles de l’attachement, l’histoire émotionnelle du parent imprègne profondément sa posture éducative.
Ainsi, une étude récente portant sur des mères présentant des troubles psychologiques a montré que la qualité de leurs propres expériences d’attachement dans l’enfance, notamment le sentiment d’avoir été aimées ou, au contraire, négligées influençait directement la qualité de leurs interactions avec leur jeune enfant.
Plus spécifiquement, des expériences négatives, en particulier avec la figure paternelle, prédisaient des interactions plus perturbées, marquées par un retrait émotionnel ou des comportements de rejet.
Ces résultats illustrent l’impact durable du vécu précoce : un parent ayant souffert d’absence affective ou de maltraitance risque, sans accompagnement, de reproduire involontairement un schéma de carence, ou à l’inverse de sur-contrôle.
À l’opposé, des expériences réparatrices permises par la rencontre d’une figure de soutien ou un travail thérapeutique permettant l’intégration du passé peuvent favoriser une sécurité acquise, ouvrant la voie à une parentalité plus sensible malgré un parcours difficile.

Un facteur clé dans ce processus reste la sensibilité parentale, largement étudiée en psychologie développementale.
Elle désigne la capacité du parent à détecter, interpréter correctement et répondre de manière adéquate et cohérente aux signaux de son enfant. Ce comportement de caregiving est fondamental pour le développement d’un attachement sécure.
Les études montrent qu’une sensibilité élevée favorise la confiance, l’empathie et les compétences sociales de l’enfant, tandis qu’une insensibilité ou une intrusivité parentale accroît le risque de difficultés émotionnelles, cognitives et comportementales.

Or, la sensibilité du parent est étroitement liée à son propre style d’attachement : globalement, les parents sécures se montrent plus disponibles et accueillants, les parents évitants ont tendance à sous-réagir à la détresse (par inconfort face aux émotions négatives), tandis que les parents anxieux répondent de manière plus imprévisible ou excessive.
Cette relation bien documentée explique en partie la transmission de l’attachement sécure ou insécure à travers les générations.
Cependant, comme on l’a vu précédemment, la sensibilité ne suffit pas à elle seule : la réflexivité parentale, le stress, le soutien social et le contexte de vie modulent fortement la capacité du parent à être sensible, en fonction de son histoire d’attachement et de sa régulation émotionnelle.

En résumé, l’histoire d’attachement du parent exerce une influence diffuse sur l’ensemble de sa posture éducative : elle oriente ses attentes vis-à-vis de l’enfant, sa tolérance au stress, sa gestion des émotions et la manière dont il instaure le cadre.
Les schémas relationnels précoces (les MIO décrits par Bowlby) tendent à se rejouer implicitement dans la relation parent-enfant.
Reconnaître cette influence permet de mieux comprendre les difficultés parentales : derrière un parent très autoritaire et peu démonstratif peut se cacher un attachement évitant hérité de l’enfance ; derrière un parent chaotique et dépassé, un attachement non résolu lié à un traumatisme ancien.
La bonne nouvelle, c’est que ces schémas ne sont pas figés : un travail réflexif, une thérapie ou un accompagnement adapté, peut permettre au parent de reconnaître ses réactions héritées, les transformer et ainsi éviter de perpétuer les mêmes insécurités avec son enfant.

Perspectives neuropsychologiques: plasticité cérébrale et héritage de l’attachement

Les avancées en neuropsychologie et neurosciences affectives fournissent un éclairage complémentaire sur la façon dont l’histoire d’attachement des parents influence la parentalité, en examinant le cerveau parental et la biologie des liens.

On sait que devenir parent s’accompagne de changements cérébraux et hormonaux notables : l’activation de certains circuits neuronaux (cortex préfrontal, aires limbiques de l’émotion, système de récompense dopaminergique…) est modulée par l’interaction avec le bébé, ce qui prépare le parent à répondre de manière adéquate aux besoins de son enfant. Par exemple, entendre son bébé pleurer ou voir son sourire active chez la plupart des parents des zones impliquées dans l’empathie et la motivation (comme l’amygdale, le striatum ventral, l’insula, le cortex cingulaire). Ces activations reflètent l’émotion suscitée par l’enfant et motivent le comportement de soins.

Or, les différences d’attachement chez les parents s’accompagnent de profils neurobiologiques distincts face aux stimuli de leur enfant. Une étude pionnière utilisant l’IRMf (Strathearn et al., 2009) a comparé le cerveau de mères primipares en fonction de leur style d’attachement (évalué par l’AAI) lorsqu’elles regardaient des photos de leur propre bébé.

Les résultats montrent que les mères au profil sécure activent significativement plus le circuit de la récompense (notamment le striatum ventral) et des régions hypothalamo-hypophysaires associées à l’ocytocine en voyant le visage souriant ou pleurant de leur nourrisson. Parallèlement, ces mères sécures présentaient, lors des interactions réelles avec leur bébé, une plus forte libération périphérique d’ocytocine, un neuropeptide lié à l’attachement et à la tendresse maternelle et ce taux d’ocytocine corrélait avec l’activation cérébrale de récompense observée.

À l’inverse, les mères de style évitant/détaché montraient une moindre activation des zones de récompense, mais une activité plus forte de l’insula en réponse aux expressions de détresse de leur bébé (visage triste/pleurant). L’insula est impliquée dans la perception des sensations viscérales et du dégoût ou de l’inconfort; son activation suggère que ces mères éprouvent davantage de stress ou d’aversion face aux pleurs de l’enfant, plutôt qu’une motivation à le réconforter. 


Ces résultats montrent qu’un attachement sécure oriente le cerveau parental vers la recherche de proximité et de plaisir dans l’interaction, alors qu’un attachement insécure, en particulier évitant tend à activer davantage les circuits du stress ou du retrait.

D’autres travaux en neuroimagerie confirment l’influence de l’expérience parentale et de la qualité des interactions sur le cerveau. Par exemple, une étude a montré que les mères les plus sensibles dans leurs interactions (celles qui répondent promptement et adéquatement aux besoins) présentaient, face aux pleurs de leur propre bébé, une plus forte activation du cortex préfrontal (région frontale droite) impliqué dans la régulation émotionnelle et l’interprétation des signaux sociaux. En revanche, les mères intrusives ou contrôlantes montraient une activation plus marquée de l’insula antérieure et du pôle temporal, suggérant une réaction plus autocentrée ou anxieuse aux pleurs. Ces variations cérébrales rejoignent l’idée que le cerveau du parent “résonne” différemment selon son style d’interaction et sans doute selon son modèle d’attachement.

Bien que la majorité des recherches aient porté sur les mères, les études récentes montrent que ces mécanismes cérébraux et affectifs concernent également les pères engagés dans le caregiving. En effet, il a été démontré que les pères engagés dans le caregiving activent, eux aussi, un réseau cérébral largement similaire à celui des mères (comprenant l’amygdale, l’insula, le striatum, le cortex préfrontal médian), surtout lorsqu’ils assument le rôle principal de caregiver. Ainsi, le cerveau paternal subit également des adaptations en réponse à l’attachement et l’investissement auprès de l’enfant (les niveaux de certaines hormones comme l’ocytocine et la vasopressine augmentent chez les pères impliqués, facilitant l’attunement avec le bébé).

De plus, la santé mentale du parent, souvent liée à son style d’attachement a une composante neurobiologique qui impacte la relation parent-enfant. Par exemple, en situation de dépression post-partum (fréquemment associée à un attachement insécure/non résolu), on a observé une moindre activation des circuits de récompense maternels et parfois une hyper-réactivité de l’amygdale (centre de la peur) aux pleurs du bébé, ce qui peut conduire la mère déprimée à se sentir submergée ou à éviter le contact visuel avec l’enfant. Ces réactions, si elles perdurent, risquent de compromettre la disponibilité affective du parent. Inversement, le traitement de la dépression et le soutien social peuvent rétablir en partie des patterns neuronaux plus propices à l’interaction positive. (Notons que la dépression du post-partum touche aussi les pères).

En résumé, la perspective neuropsychologique corrobore l’importance de l’attachement parental : elle montre que les caregiving “sécures” s’appuient sur des bases neurobiologiques solides: un parent qui a intégré des modèles sécurisants trouvera plus naturellement du plaisir et du réconfort dans la relation avec son enfant (via l’activation dopaminergique, l’ocytocine, etc.), tandis qu’un parent aux modèles insécures ou traumatiques devra lutter contre ses réponses de stress ou de peur automatique. Cette compréhension neurobiologique renforce l’idée qu’aider les parents à élaborer leurs expériences et à réduire leur stress peut littéralement reconfigurer leur manière neuronale de répondre à l’enfant. D’un point de vue pratique, cela justifie les interventions précoces visant à réduire l’anxiété parentale, stimuler le plaisir partagé et le sentiment de compétence parentale, afin d’influencer favorablement ces mécanismes cérébraux plastiques.

Ces données issues des neurosciences offrent ainsi une base biologique à ce que la clinique de l’attachement observe depuis longtemps : nos modèles internes influencent à la fois nos pensées, nos émotions et nos circuits neuronaux de réponse à l’enfant. Cette convergence entre psychologie et neurobiologie ouvre des pistes d’intervention concrètes pour soutenir les parents dans leur capacité à réguler, mentaliser et se relier de façon sécure.

Implications cliniques pour la parentalité et l’accompagnement professionnel

Les connaissances scientifiques sur l’attachement et la parentalité ont d’importantes retombées pratiques. Elles aident à orienter les interventions de soutien aux familles et la formation des professionnels (psychologues, travailleurs sociaux…) pour favoriser des relations parent-enfant sécurisantes. Voici quelques implications et pistes d’action clés, issues des résultats de la recherche :

•⁠ ⁠NBO (Brazelton Institute) : observations partagées (18 items) pour renforcer la sensibilité parentale dès la naissance.
•⁠ ⁠CPP – Child‑Parent Psychotherapy (Lieberman) : psychothérapie trauma‑informée dyadique parent‑enfant.
•⁠ ⁠Circle of Security / COS‑Intensive & COS‑Parenting : carte de l’attachement + vidéo‑feedback pour soutenir la base de sécurité. [circleofsecurityinternational.com]
•⁠ ⁠ABC – Attachment & Biobehavioral Catch‑up (Dozier) : 10 séances à domicile, sensibilité/nurturance et éviter les comportements effrayants.
•⁠ ⁠VIPP‑SD (Bakermans‑Kranenburg/Juffer) : vidéofeedback court ciblant sensibilité et discipline positive.
•⁠ ⁠Interaction Guidance (McDonough) : court, vidéo‑centré, renforcement des compétences relationnelles.
•⁠ ⁠Minding the Baby (Slade & Yale) : visites infirmière + clinicien axées mentalisation / RF ; résultats RCT positifs.

Ces interventions précoces, souvent mises en œuvre dans des contextes institutionnels auprès de jeunes enfants ou de familles identifiées comme à risque, constituent des outils précieux pour soutenir le lien parent-enfant dès les premiers mois de vie. Plusieurs axes d’intervention se dégagent pour soutenir la parentalité et prévenir la transmission des insécurités d’attachement.
D’abord, l’évaluation de l’histoire d’attachement du parent (par des entretiens ou questionnaires inspirés de l’AAI) aide à repérer les vulnérabilités et à orienter le travail thérapeutique.
Les approches centrées sur la mentalisation visent à renforcer la capacité du parent à comprendre ses propres émotions et celles de l’enfant, favorisant ainsi la sensibilité et la régulation dans la relation.
Les programmes d’éducation parentale basés sur l’attachement (comme le Circle of Security ou le VIPP-SD) ont montré des effets positifs sur la sensibilité et la sécurité de l’enfant, surtout lorsqu’ils sont proposés précocement.
Un accompagnement spécifique est essentiel pour les parents ayant vécu des traumas ou des carences précoces : une approche « trauma-informée » et les thérapies dyadiques parent-enfant permettent de restaurer la cohérence interne et la disponibilité affective.
Enfin, la promotion de la réflexivité dans les pratiques professionnelles, en aidant les parents à mettre du sens sur leurs émotions et celles de leur enfant constitue un levier majeur de changement et de sécurisation du lien.

Dans ma pratique libérale, je reçois ainsi plus fréquemment les parents que les très jeunes enfants eux-mêmes. En effet, mon rôle n’est pas de devenir une figure d’attachement pour l’enfant, sauf de manière transitoire et contenante, le temps de restaurer un climat de sécurité. Il me paraît souvent plus fécond de renforcer la sécurité du parent lui-même : c’est en soutenant la figure d’attachement que l’on peut véritablement favoriser le développement émotionnel de l’enfant et apaiser les difficultés observées chez l’enfant ou dans la relation.

Dans cette perspective, les approches thérapeutiques intégratives, comme l’ICV offrent une voie particulièrement pertinente pour aider les parents à revisiter leur propre histoire et à réparer les blessures susceptibles d’entraver leur disponibilité affective.

Les réactions parentales difficiles comme la colère, le retrait, l’anxiété… traduisent souvent la réactivation d’anciennes insécurités. En aidant le parent à apaiser ces traces du passé, la thérapie restaure sa sécurité interne et améliore sa disponibilité affective.
L’Intégration du Cycle de Vie (ICV) offre ici un cadre particulièrement aidant : en rétablissant la continuité et la cohérence du vécu, elle favorise une régulation durable du système d’attachement. Un parent apaisé devient alors, naturellement, une base de sécurité pour son enfant.

En conclusion:

L’histoire d’attachement des parents joue un rôle central dans la construction émotionnelle et relationnelle de l’enfant. Elle influence leurs représentations, leurs réactions affectives et leur manière de répondre aux besoins du bébé, façonnant ainsi les premières expériences de sécurité ou d’insécurité.
Mais il est tout aussi essentiel de rappeler que cette transmission n’est pas une fatalité.

En effet, la réflexivité parentale, la sensibilité et le soutien socio-émotionnel apparaissent comme des facteurs de protection puissants, capables d’interrompre les cycles intergénérationnels de l’insécurité. Le travail thérapeutique, l’accompagnement à la parentalité et la mise en mots de l’histoire personnelle ouvrent la voie à une sécurité acquise, permettant au parent d’offrir à son enfant une base de sécurité nouvelle et stable.

Sources et références:

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Ressources méthodologiques et outils :

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Delphine Leca

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